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Avec « Provigo Le Marché », Loblaws disparaîtra du Québec

C’est le début de la fin pour l’enseigne Loblaws au Québec. D’ici « 3 ou 4 ans », ce nom devrait avoir disparu du paysage québécois au profit de Provigo Le Marché, a appris La Presse Affaires

La nouvelle enseigne adopte le concept « théâtral » implanté avec succès dans l’ancien aréna des Maple Leafs, à Toronto. La Presse a visité en primeur le premier Provigo Le Marché, qui ouvre ses portes aujourd’hui à Sherbrooke.

Les rumeurs qui circulaient depuis des années voulant que le nom Loblaws soit retiré du Québec ont fini par devenir réalité. À compter d’aujourd’hui, ces grandes surfaces seront progressivement transformées en Provigo Le Marché. Seulement en 2013, l’entreprise ontarienne investit près de 100 millions dans son magasin flambant neuf de Sherbrooke (qui remplace deux petits Provigo fermés la semaine dernière) et dans la transformation de sept Loblaws.

« Si on garde notre rythme de conversion, on se donne 3 ou 4 ans pour finaliser tout ça. Ce sera un grand succès », prévoit André Fortier, vice-président principal, exploitation, Loblaws et Provigo Le Marché, tout en parcourant les allées de la nouvelle épicerie et en décrivant le moindre détail avec passion. On dénombre 32 Loblaws et 77 Provigo au Québec.

La direction de Loblaw n’avait jamais révélé aussi clairement ses intentions. Elle précise maintenant que les Provigo ne seront pas transformés, « même si ce n’est pas impossible que certains le soient ».

« On veut que Provigo demeure une enseigne pratique et de proximité », explique le dirigeant, précisant qu’il espère réaliser au minimum des ventes de 10 $/pi2 par semaine [430 000 $], même si « ce n’est pas encore assez ».

Vendre de « façon théâtrale »

Ceux qui ont visité l’immense Loblaws installé dans le Maple Leaf Gardens depuis novembre 2011 auront une impression de copier-coller en mettant les pieds chez Provigo Le Marché. Le plancher est orange. Les murs sont décorés jusqu’au plafond de petites tuiles noires et les sections sont identifiées par d’immenses lettres blanches. Dans l’entrée, une pâtisserie, un comptoir de sushis et une « boutique » de prêt-à-manger accueillent les clients. Même le logo de Loblaws (un « L » orange et rouge) a été conservé.

« On va avoir huit pieds de cupcakes. En Estrie, tu ne peux pas trouver plus d’un pied de cupcakes. On veut faire un statement avec ce produit », se réjouit André Fortier, qui a imaginé le concept et en a piloté l’implantation en Ontario. Juste à côté, les clients pourront acheter des morceaux du très gros bloc de chocolat Laura Secord qui sera coupé à la demande avec un pic. Encore une fois, l’idée est de « vendre la nourriture de façon théâtrale ».

Provigo Le Marché veut aussi devenir la référence pour ce qui est du prosciutto, des fromages québécois (près de 400 types dans un frigo jusqu’au plafond), des bières de microbrasseries et du bœuf vieilli, « une catégorie qui n’existe même pas au Québec ».

Beaucoup de prêt-à-manger (sandwichs, pizzas, smoked meat, etc.) et un bar à huîtres compléteront l’offre qu’on qualifie « d’unique ». Et plusieurs nouveaux produits québécois – il n’a pas été possible d’obtenir leur nombre – ont trouvé de la place sur les tablettes, même si les achats continuent de se faire à Toronto.

« La bonne nouvelle, c’est qu’on a réussi à travailler en étroite collaboration avec l’équipe torontoise », mentionne Charles Valois, responsable de la mise en marché des enseignes conventionnelles du Groupe Loblaw.

Loblaws « ne passe pas » au Québec 

Les experts de l’industrie consultés sont d’accord pour dire que c’est une excellente idée de tourner la page sur le nom Loblaws, « un nom qui ne passe pas au Québec », selon Jean-Claude Dufour, professeur au département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l’Université Laval.

« C’est une bonne chose qu’ils misent sur le nom Provigo. Même s’il est magané, il est encore plus fort que Loblaws », ajoute Gaétan Frigon, ex-président de la Société des alcools du Québec qui a qualifié publiquement de « désastre » ce que l’épicier ontarien a fait avec Provigo depuis son acquisition en 1998.

Jean-François Ouellet, professeur de marketing à HEC Montréal, aime l’ajout des mots « Le Marché » dans le contexte où les consommateurs veulent mieux comprendre d’où vient leur nourriture et se rapprocher de la terre, des cultivateurs. « Marché a une consonance plus petite, plus locale, plus humaine que "supermarché", qui représentait plus le "progrès", le gros, l’industriel qu’on recherchait dans les années 80 et même avant. »

C’est une bonne chose que Loblaw « tente de réparer les erreurs commises depuis 10 ans, alors qu’il essayait de ressembler à Walmart », croit Jean-Claude Dufour. « Au Québec, on préfère le service, ce qui leur a fait perdre beaucoup de parts de marché. »

« Loblaw se décide peut-être un peu tard à agir, mais au moins, ils se réveillent ! » conclut Gaétan Frigon.

À lire demain : ouvrir une nouvelle épicerie représente tout un défi de logistique. Voyez en vidéo le sprint final des employés pour que les étalages soient prêts à l’arrivée des premiers clients. Aussi, lisez l’opinion d’experts au sujet de la circulaire de Provigo Le Marché et de sa stratégie de mise en marché.

Un pari qui n’est pas sans risques 

La transformation des Loblaws en Provigo Le Marché n’est pas une opération exempte de risques. L’épicier ontarien se lance dans ce vaste projet alors qu’il en aura plein les bras avec l’intégration de Shoppers Drug Mart au cours des prochaines années, rappelle Jean-François Ouellet. « Si cette "relance" de Provigo ne se fait pas sans faille, ça ne fonctionnera pas et c’est IGA, Metro, peut-être aussi Walmart qui vont le plus en profiter. »

Il y a aussi un risque de confusion dans la tête des consommateurs puisque deux concepts différents de Provigo cohabiteront. Leur circulaire sera la même, leur nom sera similaire, mais pas leur logo, ni l’expérience en magasin.

« Les deux peuvent exister un certain temps, mais un jour, il faudra une scission. Car l’un va nuire à l’autre. La publicité de Le Marché va créer des attentes dans les Provigo ordinaires. C’est très risqué de faire ça », souligne François Desrosiers, président-fondateur d’Interim marketing.

Tous s’entendent pour dire qu’un nouveau concept de magasin ne suffira pas à relancer Provigo. « Il va falloir plus que ça, même si c’est déjà un gros pas, dit Jean-Claude Dufour, de l’Université Laval. Il faut une grande campagne de publicité. Ils ont dû prévoir quelques millions pour ça, j’imagine. »

« Pour que ça fonctionne, puisqu’une marque n’est rien d’autre qu’une promesse, il faudra que la promesse soit tenue et que ces nouveaux magasins et que cette marque renouvelée se traduisent en une expérience différente pour les clients », ajoute Jean-François Ouellet.

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Le renouveau de Provigo

Provigo Le Marché conserve le logo de Loblaws (un L orange et rouge), tandis que les Provigo de quartier (beaucoup plus petits et généralement franchisés) conservent leur logo actuel, qui ressemble à une fleur avec la lettre P au centre. Le mot Provigo (désormais écrit avec une majuscule) est bien en évidence, alors que « Le Marché » est plus petit.

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Le modèle torontois

Tout comme à Toronto, le plancher est de couleur orange. Aucun achat impulsif (paquets de gomme, barres de chocolat, magazines, piles) n’entoure les caisses enregistreuses dernier cri. L’avant du magasin compte aussi plusieurs tables où l’on espère que les Sherbrookois viendront prendre leur déjeuner en achetant leur dîner.

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Un mur de fromages

Un « mur de fromages » de 20 pieds de haut similaire à celui installé dans le Loblaws du Maple Leaf Gardens, à Toronto, trône dans le Provigo Le Marché de Sherbrooke. Lors de notre visite, le gigantesque réfrigérateur était encore vide parce que la disposition des tablettes était insatisfaisante et devait être modifiée.

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« La saveur du Québec »

« On fait ces investissements parce que Provigo le mérite. C’est une enseigne qui a de la force de caractère. Je ne suis pas gêné de montrer ce concept aux Québécois. Provigo est une survivante. On ne pourra pas dire que ce n’est pas la saveur du Québec, car c’est ma saveur à moi et je suis un gars de Saint-Henri de Lévis », affirme André Fortier, vice-président principal, exploitation, Loblaws et Provigo Le Marché.

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